Si les séries se sont aujourd'hui fait une place au panthéon culturel, fût-il télévisuel, elles peinent toujours à voir l'histoire de l'art en peinture. Difficile, en effet, de captiver un large public avec un sujet parfois perçu comme élitiste ou rébarbatif.Une fiction a pourtant réussi à l'encadrer… avec succès! Depuis cinq ans, L'Art du crime, dont France2diffuse un épisode inédit ce lundi4décembre, permet à des téléspectateurs toujours plus nombreux (jusqu'à 5,5millions!) de percer les secrets de chefs-d'œuvre tels que Le Cri d'Edvard Munch, Le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault ou encore Le Déjeuner sur l'herbe d'Édouard Manet…
Car, dans ce polar, la clé des meurtres réside toujours dans les tableaux (plus rarement les sculptures) de grands maîtres, qui se révèlent au fil d'intrigues astucieuses et très documentées: «Dans cette série, tout est véridique, ce n'est pas Da Vinci Code. L'Art du crime est un programme intelligent, où l'on apprend toujours quelque chose.À la fin d'un épisode, le téléspectateur a l'impression de connaître un peu mieux l'artiste dont il a été question, se félicite Joachim de Vasselot, producteur de la série chez Gaumont TV. En ce sens, c'est un vrai programme de service public, mais avec des codes très grand public.»
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Pour intéresser les curieux à son originale leçon d'histoire, L'Art du crime s'appuie, en effet, sur un genre classique à l'efficacité éprouvée: la comédie policière colorée d'une touche de romance.
L'art du crime ou l'art d'apprendre sans en avoir l'impression
À l'image de nombreuses séries à succès – Candice Renoir, HPI, en France, Castle ou Mentalist aux États-Unis –, la fiction de France2met ainsi en scène un duo antagoniste qu'évidemment tout oppose et qu'évidemment tout va finir par rapprocher… ou presque, leur histoire d'amour éternellement contrariée dessinant une toile de fond sentimentalo-comique aux enquêtes.
Certes compétent mais passablement inculte, Antoine Verlay (Nicolas Gob, révélé dans Un village français), ancien flic de la brigade criminelle désormais affecté à l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (l'OCBC, crééen 1975), se voit obligéde faire équipe avec Florence Chassagne (Éléonore Bernheim), historienne de l'art du Louvre aussi brillante que névrosée, pour résoudre les crimes liés à un univers qui le dépasse. «Le personnage d'Antoine ne connaît rien à l'art, ce qui permet de mettre à l'aise le téléspectateur, explique Pierre-Yves Mora, cocréateur et coscénariste de la série avec Angèle Herry-Leclerc. C'est une façon de le décomplexer.»
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Heureusement Antoine le Candide peut-il compter sur les explications lumineuses de l'érudite Florence Chassagne, qui éclaire au passage un public conquis. La mécanique, efficace, reflète aussi la démarche des auteurs, autodidactes revendiqués: «On a le goût de l'art, mais, quand oncommence l'écriture d'un scénario, on ne connaît rien à l'artiste nous non plus. On l'aborde par l'angle du divertissement et on se documente sur sa biographie et sur son œuvre afin de construire l'intrigue», souligne Angèle Herry-Leclerc. L'idée? Enrober l'ambition pédagogique dans le jeu policier afin d'apprendre… sans en avoir l'impression!
Un jeu de pistepolicier dans le monde de l'art
En général, le binôme de scénaristes part de la vie d'un grand maître célèbre ou plus méconnuet cherche ensuite un angle policier pour tricoter son récit: «La difficulté, c'est de trouver le principe pour mettre en valeur les connaissances de notre historienne de l'art, car ce sont elles qui font avancer l'enquête!» explique la paire d'auteurs. En décembre dernier, l'épisode centré sur Édouard Manetprenait ainsi l'allure d'un jeu de piste: «On a imaginé les détails de son tableau L'Olympia – le bouquet de fleurs, le chat noir – comme autant d'indices que Florence Chassagne réussit à la fin à interpréter…» Quant à l'enquête de ce lundi 4décembre, intitulée «Versailles, es-tu là», elle s'intéresse à la portraitiste préférée de Marie-Antoinette, Vigée Le Brun. Ses relations avec sa fille adorée font écho aux crimes de la soirée, comme le découvre rapidement l'héroïne. Comment? Tout simplement en discutant avec la défunte peintre.
Depuis l'enfance, l'experte en histoire de l'art converse en effet avec les illustres grands maîtres, qui peuplent ses rêveries: «Pour parler des peintres, il fallait les rendre le plus vivants possible… et donc les voir! On a donc fait d'eux les amis imaginaires de Florence», précise Pierre-Yves Mora. Dans la série, Edgar Degas et Henri de Toulouse-Lautrec ont, par exemple, pris les traits de Bruno Debrandt et Bruno Solo, en costume d'époque: «Incarner ces artistes est un moyen d'évoquer leur œuvre sans être didactique», poursuit Angèle Herry-Leclerc.
À LIRE AUSSI Dans les secrets du château de VersaillesEt l'intrigue de progresser tout en remontant le temps.En24épisodes, L'Art du crime a convoqué les visages de la Renaissance, s'est aventurée dans les mystères de l'Égypte antique et s'est promenée dans les jardins artistiques des XVIIe, XVIIIe et XIXesiècles… Mais elle n'a pas encore investi l'époque contemporaine.
L'art du crime tourné dans des décors exceptionnels
Pour des questions de droits, la série ne peut traiter que des artistes dont les œuvres sont tombées dans le domaine public, sauf à payer les ayants droit. Mais, comme le rappelle Joachim de Vasselot, «le budget, qui correspond à celui d'une fiction de prime time majoré de 10%, n'est pas extensible et L'Art du crime coûte cher à produire». Car la série, et c'est là un autre de ses atouts, se déroule majoritairement dans des musées et autres joyaux du patrimoine français: «C'est notre petit côté Secrets d'histoire», s'amuse le producteur, avant de pointer le challenge que cela représente en termes de coûts – outre la location des musées, il faut en payer les services de sécurité et de gardiennage, sans compter les reconstitutions soignées des ateliers d'artistes – et de logistique.
Ces décors exceptionnels sont en effet ouverts au public et les tournages ne sont possibles que lors de leurs jours de fermeture, souvent consacrés à la restauration des œuvres, à des travaux de maintenance ou à la tenue de divers événements: «La fenêtre de tir est très étroite et c'est un casse-tête pour tout faire entrer dans le planning», avoue-t-il. Autre difficulté: la série doit partager les disponibilités limitées de ces lieux convoités: «Grâce au crédit d'impôt international, la production de programmes étrangers est facilitée en France. C'est une bonne chose pour le marché, mais nous sommes en concurrence avec des séries au budget très important, comme Daryl Dixon: The Walking Dead…»
Séduits par la qualité de L'Art du crime, les musées et autres monuments nationaux continuent néanmoins de lui ouvrir volontiers leur porte. Ce fut le cas du château de Versailles, qui a récemment accueilli les équipes dans la chambre de Marie-Antoinette, la galerie des Glaces et ses magnifiques jardins. De quoi attirer les amateurs devant leur écran en France comme à l'étranger, où la série a été vendue dans les cinq continents: «On a même des projets de remakedans les cartons», se félicite Joachim de Vasselot. À croire que, pour L'Art du crime, le succès est l'enfance de l'art.